Plusieurs des croyances de Varnisa furent bouleversées dans ses premiers temps à Alverton. Toute sa vie, elle avait évolué dans l'Empire Korain, mais sur l'île d'Ibsnal, où l'on pouvait se moquer quasi-ouvertement, entre personnes de confiance, des Korains et de leur obsession pour « l'exotisme kershe », où l'on méprisait leur alliance d'antan avec les Kalois, où le respect et l'honneur régnaient entre la plupart des habitants. À Alverton, il fallait ne pas dévier de la ligne droite d'une bonne civénienne. Heureusement, Varnisa avait le pas précis.

Elle s'était aussi laissé croire qu'elle se démarquerait par son talent dès son arrivée. Or, les meilleurs artistes de l'empire tentaient d'y élever leur voix. Certaines s'aidaient de leurs charmes, et là encore elles étaient nombreuses à en détenir; ceux de la Kershe n'arrivaient pas à se démarquer, pas plus que ses poèmes, car encore fallait-il tomber devant les bons yeux, et ces yeux n'avaient encore observé Varnisa. Mais ce jour arriverait, car si tant de ses pairs se nommaient des plumes, Varnisa n'était pas une plume. Elle était un stylo, un instrument de précision, effilé et métallique.

Rien ne lui manquait tant dans cette ville que l'échoppe de ses parents, tisserie par excellence des moins fortunés, où elle avait appris presque tout ce qu'elle savait. Presque tout. Mais Varnisa avait un défaut, l'ambition, et Ibsnal limitait ce qu'elle pouvait accomplir, surtout parce qu'elle n'avait ni barbe ni pénis. À Alverton, les étoiles étaient la limite, sixième peuple ou non.